LES SOUTERRAINS DE COISY

par Raymond CORROYER

Picardie, une terre d’invasion

La Picardie est une terre d’invasions et de mouvements de gens de guerre (guerres féodales, de religions et d’invasions espagnoles) l’ennemi était partout. Le pire malheur était que les soldats du roi étaient aussi redoutés que les ennemis par les paysans. Toute récolte sur place était infailliblement sciée, tous animaux emmenés, les troupes pour se coucher arrachaient le chaume des toitures, s’il faisait froid elles brûlaient les charpentes des toitures pour se chauffer. Dès qu’un détachement en étapes, qu’un convoi apparaît à l’horizon, le guetteur sonne le tocsin et tous d’emporter leurs hardes, leurs maigres provisions, leur récoltes et animaux au château s’il y en a un, ou au fond du souterrain-refuge qu’ils avaient eux-mêmes creusé. Voici ce que raconte Pierre Darayne ancien échevin d’Amiens le 7 avril 1657 : partout les ennemis ont pillé, violé et exercé toutes sortes d’hostilités n’ayant même pas épargné les églises et autres lieux saints, les villages où les ennemis sont passés sont presque déserts et inhabités. Les passages, les trainées des soldats et des pillards, les attentats contre les personnes, les vols, les destructions des biens existaient encore en 1659. Devant de tels méfaits les villageois pour se protéger des dangers auxquels ils étaient sans cesse exposés s’organisaient et creusaient des carrières souterraines pour se cacher avec leurs animaux et entreposer leurs récoltes contre les pillards. Ces carrières servaient aussi à la construction des châteaux, des fermes et autres. Elles étaient creusées généralement par banc horizontal pour faciliter le charroi, hautes de 1.50 m à 3 m, elles étaient suffisamment larges pour laisser passer les chariots employés à l’extraction des pierres. Les galeries n’étaient pas toujours rectilignes et l’on creusait souvent de part et d’autres des poches qui servaient de chambres, d’autres fois les galeries s’alignaient et étaient reliées entre elles par d’étroits couloirs assez bas. Ces ramifications formaient sous terre de véritables labyrinthes qui aboutissaient sur une galerie transversale qui les distribuait vers l’accès. Les souterrains de Coisy que nous allons découvrir sont de ce genre.

Une citerne point de départ  
La légende veut que les châteaux possédassent un souterrain au village ; les habitants de Coisy étaient sur ce point affirmatifs : ils étaient même convaincus que le souterrain traversait le puits d’alimentation d’eau du château. Monsieur Corroyer qui faisait des études d’architecture avait été  intéressé par ces dires et avaient entrepris des fouilles malheureusement infructueuses dans les caves souterraines du château dont son père était à cette époque le propriétaire. Le 31 décembre 1925 une citerne sise dans la cour d’une maison du village s’éboulait par suite de l’abondance des pluies, et mettait à jour un débouché sur les souterrains : la légende avait eu raison et les habitants du pays récompensés. Monsieur Corroyer proposa d’établir les plans des souterrains et d’en rechercher le débouché avec l’assistance de quelques uns il entreprit l’exploration souterraine.

La curiosité passée, la bonne volonté des assistants villageois s’atténuait au fur et à mesure que l’exploration devenait périlleuse, le danger existait, la sécurité de la voûte était précaire, à certains endroits le manque d’air était très sensible dans les galeries basses et la température lourde par le manque d’aération. Le travail de sape et de protection au premier abord était périlleux, mais le courage et la persévérance des derniers assistants permirent d’établir le plan des galeries accessibles du souterrain et de situer sa position sous le village ainsi que les entrées. La citerne effondrée et située dans la cour d’une maison de la grande rue du village, cette maison était en 1925 un café. Cette citerne creuse dans un sol crayeux reposait sur la voûte fragile du souterrain porche à cet endroit du fond de la citerne qui avait cédé sous le poids de l’eau. On la traversa à l’aide d’une échelle et l’on eut pied sur un éboulis crayeux qui fut dégagé pour faciliter l’accès. On déboucha sur un étroit couloir visiblement taillé de la main de l’homme. L’étude des lieux et du plan que nous allons dresser font apparaître la formation de deux souterrains creusés à des périodes différentes et formant le prolongement l’un de l’autre.

Le premier souterrain comprend les galeries situées au nord de la citerne qui est notre point de départ. l’aspect de ce souterrain semble remonter au Moyen Age, la taille est assez rudimentaire, les galeries sont d’un aspect précaire. Le second souterrain faisant la continuité du premier est situé au sud de la citerne, les galeries sont plus hautes et bien distribuées.

La présence d’une carrière, l’existence d’un escalier d’accès identique à l’escalier des caves souterraines du château font déterminer sa formation vers 1620, date approximative de la construction du château. Le couloir étroit reliant ces deux souterrains ne permettant pas le passage nécessaire au charroi des pierre, confirme la formation indépendante de ces deux souterrains. La période dans laquelle ils furent construits tenait compte de la différente situation du village.

Le premier souterrain

Le premier souterrain se situe près de l’église, le second se rapproche du château dont l’extraction des pierres avait servi à la construction du château et des fermes. Nous allons examiner l’un après l’autre ces deux souterrains : dans le premier souterrain les galeries convergent en direction de nord et de l’est de la citerne qui sera notre point de repaire. Nous remarquons la formation de deux ramifications de galeries reliées entre elles par une galerie Les caractéristiques d’habitabilité de ce souterrain sont assez précaires, des ossements de cheval et un squelette de quarante mètres de long desservant ces deux ramifications dans le sens transversal. La pente en direction nord sud est assez abrupte. Il a fallu descendre en profondeur et suivre la pente déjà forte en surface, il n’a pas été possible de dégager les galeries situées au nord de la galerie transversale, le travail de sape étant trop périlleux, la voûte incertaine par suite de l’infiltration des eaux d’une mare située non loin de l’église. La pente accentuée de ces galeries permet d’assurer que l’entrée de ce souterrain aboutissait l’église ; cette entrée permettait l’accès des animaux domestiques et le charroi des récoltes. Les caractéristiques d’habitabilité de ce souterrain sont assez précaires, des ossements de cheval et un squelette complet de mouton prouvent que le renouvellement de l’air était insuffisant malgré l’aménagement d’une cheminée située dans un cul de sac de la partie basse. Cette cheminée a été obstruée volontairement, sa situation se profilait dans le prolongement de l’entrée du château et nuisait à l’accès de celui-ci sur la partie d’un pilier au-dessus d’une encoche taillée dans la pierre, une croix à quatre branches surmontée d’une petite boule, une petite niche a été creusée pour abriter une statuette de vierge ou de christ.

Le deuxième souterrain

Le deuxième souterrain situé au sud de la citerne comporte cinq galeries de dix mètres de long, trois mètres de large et trois mètres de haut reliées entre elles par d’étroits couloirs et aboutissant à leurs extrémités à deux galeries conduisant à l’extérieur. Diverses ramifications sont branchées sur ces galeries, on y remarque principalement trois chambres circulaires assez basses, la paroi inférieure de ces chambres est arrondie jusqu’au sol et laisse apparaître nettement l’usure de la pierre par le frottement des personnes assises qui ont séjourné longuement dans ces chambres. Des chevilles de bois fixées dans la paroi verticale tombaient en poussière dès qu’on les touchait. De multiples encoches taillées dans la pierre servaient de support aux quinquets d’éclairage dont la fumée avait taché nettement la craie. A certains endroits, notamment à l’entrée d’une chambre, la paroi a été creusée et a dû supporter l’encadrement d’une porte. Un couloir étroit conduit vers un escalier à marches de grès à pente très douce. La voûte de cet escalier est composée d’une succession d’arcs en pierre de taille. Sur la paroi gauche de cet escalier deux issues avec linteau de grès n’ont pu être explorées à cause des éboulis ainsi que l’escalier au trois quart enseveli volontairement. La construction de cet escalier et la nature des matériaux employés sont absolument identiques à l’une des entrées des caves du château. Cet escalier aboutissait dans une cave de la ferme située route de Poulainville dépendant du château.

L’entrée principale de ce second souterrain devait déboucher dans la carrière ayant fourni les matériaux de construction du château ou dans l’une des caves de celui-ci ; les marques très apparentes de cette carrière se rencontrent sur les parois de la galerie nord distribuant le souterrain et dont l’extrémité est effondrée.

Les caractéristiques d’habitabilité de ce souterrain sont nettement différents du précédent, le sol est presque horizontal, les galeries sont hautes, plus larges, mieux distribuées, les deux accès permettent un mouvement d’air suffisant à l’existence. Les marques de séjours prolongés dans les chambres sont caractéristiques et indiquent une origine plus récente pouvant se situer au début du XVIIe siècle.